Luis
avait 78 ans, et c'était un homme sincère et de cœur. Je le voyais tous
les matins, assis devant ses tomates qui peinaient à pousser par manque
de terre, la tête inclinée. On aurait dit qu'il priait pour leur croissance
qui, si elle avait lieu, aurait été un petit revenu complémentaire.
Et puis il y avait la demande venue d'un restaurateur qui passait chaque
jour pour vérifier la progression non advenue, et Luis qui continuait
à dire : " On n'a pas les moyens ici. " Puis à la fin du mois arrivait
la maigre pension, alors il allait au magasin à bicyclette pour acheter
un peu de vin de basse qualité, comme un besoin pour s'évader de la
routine. Après quelques verres, il prenait la guitare en mains et commençait
à jouer des chansons inconnues à un rythme frénétique, des histoires
du passé peut-être, des récits de temps meilleurs, quand la vie et la
jeunesse étaient plus généreuses. Dans ma tête passaient des images
liées à cette musique, des dieux, des danseurs et des danseuses sous
le vent. Les tomates ne mûrissant toujours pas, il me parlait en se
roulant une cigarette comme un père parle à son fils, me demandant pourquoi
la nature était-elle aussi peu clémente envers lui. Je restais là, en
silence, à côté de lui. Aujourd'hui il n'est plus, mais ces images sont
restées gravées dans ma mémoire et par respect, j'ai essayé de les reproduire
avec l'espoir que les tomates aient donné leurs fruits.
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